Évaluer les programmes de sécurité alimentaire : leçons tirées des interventions récentes

Ces dernières années, la sécurité alimentaire est devenue l’une des préoccupations majeures à l’échelle mondiale. Selon les rapports récents de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la faim touche entre 638 et 720 millions de personnes en 2024, soit environ 8,2 % de la population mondiale. Malgré les progrès accomplis ces dernières décennies, les conflits armés comme en Ukraine, à Gaza, la pandémie de COVID-19 et surtout les effets croissants des changements climatiques ont révélé la fragilité des systèmes alimentaires.

Évaluer les programmes alimentaires devient donc indispensable pour mesurer l’efficacité des interventions déjà menées et tirer des leçons utiles. Cela permettra de corriger les failles, de renforcer la résilience de la population et de garantir un accès durable à une alimentation suffisante, sûre et nutritive. À travers cet article, Kerus Consulting International partage les leçons tirées de l’évaluation des programmes alimentaires mis en œuvre dans différents pays.

Comprendre les fondements de la sécurité alimentaire et nutritionnelle

Selon la FAO, on parle de sécurité alimentaire, lorsque « tous les êtres humains, à tout moment, ont un accès physique, social et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins alimentaires et leurs préférences ». La population doit donc avoir accès à une alimentation variée (protéines, vitamines, minéraux…), un environnement sanitaire, des soins de santé adéquats et des pratiques alimentaires appropriées. La sécurité alimentaire est donc multidimensionnelle. Elle repose sur quatre principaux piliers :

  • La disponibilité : la nourriture produite localement ou importée doit être disponible en quantité suffisante.
  • L’accès : cela fait référence à la capacité des ménages et individus à se procurer cette nourriture (accès économique, physique, social et géographique).
  • Utilisation/qualité : il s’agit non seulement de manger, mais de bien manger (diversité alimentaire, valeur nutritionnelle, sécurité sanitaire, hygiène, pratiques de transformation et stockage préservant les nutriments).
  • Stabilité : assurer que les trois piliers précédents ne soient pas perturbés par des chocs (les crises économiques, les conflits, les fluctuations des prix, les catastrophes climatiques, les pandémies et autres).

Comprendre ces fondements permettra de mieux faire face aux enjeux actuels liés à la sécurité alimentaire dans le monde.

Les enjeux de la sécurité alimentaire

De nombreux pays sont confrontés à des enjeux majeurs en matière de sécurité alimentaire. L’insécurité alimentaire ne concerne pas seulement la quantité de nourriture, mais aussi sa qualité (diversité, valeur nutritive et autres). À Gaza, près de 2,1 millions de personnes (environ 93 % de la population) souffrent de faim sévère, dont 244 000 en famine et 925 000 en situation d’urgence (FAO/IPC). Au Yémen, environ 17,1 millions de personnes sont en crise alimentaire ou pire, dont plus de 1,5 million en urgence (UNICEF/IPC).

La persistance de la sous-nutrition et de la malnutrition chronique

Malgré les progrès réalisés, des centaines de millions de personnes dans différents pays souffrent encore de la faim ou d’une alimentation insuffisante en nutriments essentiels. La sous-nutrition chronique entraîne de retard de croissance chez les enfants, une baisse de la productivité et une vulnérabilité accrue aux maladies. Les micronutriments (vitamines, fer, zinc, iode) sont indispensables au développement cognitif et physique des enfants. Selon l’OMS, 150 millions d’enfants de moins de 5 ans souffrent de retard de croissance dans le monde en 2024. Environ 12,2 millions d’enfants présentent une malnutrition aiguë sévère. En Afrique, la situation est particulièrement préoccupante. Selon l’UNICEF, 64 millions d’enfants vivent dans une pauvreté alimentaire sévère, et le retard de croissance touche 30,7 % des enfants du continent, d’après le Global Nutrition Report 2024.

Les inégalités d’accès à l’alimentation constituent aussi un enjeu majeur. Les populations rurales isolées, les ménages pauvres, les femmes et les enfants sont souvent plus exposés à l’insécurité alimentaire.

La montée du surpoids et des maladies liées à l’alimentation

Certains pays notamment dans les zones urbaines sont confrontés à une « double charge nutritionnelle » avec la sous-alimentation d’un côté, le surpoids et l’obésité de l’autre côté. La consommation croissante d’aliments transformés, riches en sucre, sel et graisses favorise des maladies non transmissibles comme l’hypertension, le diabète ou les maladies cardiovasculaires. En 2022, d’après l’OMS, 2,5 milliards d’adultes de 18 ans et plus étaient en surpoids, dont 890 millions souffraient d’obésité.

Les changements climatiques et les catastrophes naturelles

La sécheresse prolongée, les vagues de chaleur, les cyclones et les inondations perturbent directement la production agricole. Ils constituent des causes des pertes post-récolte et réduisent la disponibilité des aliments et entraîne l’instabilité des prix. Dans les zones dépendantes de l’agriculture pluviale, une seule mauvaise saison peut plonger des milliers de ménages dans l’insécurité alimentaire.

L’intensification agricole non durable entraîne une déforestation avancée, l’érosion des sols, l’épuisement des ressources en eau et la perte de la biodiversité. Cette surexploitation menace la capacité des systèmes alimentaires à nourrir de façon durable les générations futures.

Le manque d’infrastructures de stockage, de transformation et d’hygiène

Une grande partie des récoltes est perdue à cause de pratiques de transformation inappropriées, d’une mauvaise hygiène alimentaire, mais surtout du manque de moyens de conservation (chaîne de froid, entrepôts adaptés). Ces pertes réduisent la disponibilité effective des aliments nutritifs et compromettent leur qualité alimentaire. Cela expose les populations à des risques de maladies.

À ces enjeux s’ajoutent les conflits, les déplacements forcés et l’instabilité politique dans certains pays.

Les leçons tirées de l’évaluation des programmes de sécurité alimentaire

L’évaluation des programmes de sécurité alimentaire met en évidence plusieurs enseignements clés qui permettront d’améliorer l’efficacité des interventions en matière de sécurité alimentaire. Elles ouvrent également la voie à des interventions plus durables afin de renforcer l’impact des programmes de sécurité alimentaire sur les populations.

Concevoir pour la résilience : intégrer les chocs dès le départ

Les évaluations des programmes de sécurité alimentaire révèlent que les programmes qui anticipent la résilience (climatique, économique, sanitaire) obtiennent de meilleurs résultats à moyen terme. Intégrer les filets sociaux, pratiques agricoles adaptées, diversification des revenus, marchés locaux réduits la vulnérabilité face aux chocs. Le programme R4 Rural Resilience Initiative du PAM (Éthiopie, Sénégal, Malawi, Zambie) combine les transferts alimentaires, les assurances agricoles et le travail public pour aider les ménages à mieux résister aux sécheresses. Il est donc important de systématiser les analyses de risques (climat, prix, conflit) dans l’étape de conception et prévoir des mécanismes d’ajustement rapide du programme.

Ciblage intelligent et approche « bas-vers-le-haut »

Le ciblage basé sur les données locales grâce à la combinaison de registres sociaux, des enquêtes rapides et la validation communautaire améliore l’efficacité du programme et une distribution équitable. Un ciblage trop centralisé ou uniquement administratif génère des fuites et des exclusions. Il faudra donc combiner les données administratives, les enquêtes de terrain et la validation communautaire. Il est important de prévoir un mécanisme simple de recours pour limiter les erreurs de ciblage.

Aller au-delà de l’accès calorifique : nutrition et qualité de régimes

Les programmes qui associent les transferts (en argent ou en nature) à des composantes nutritionnelles (éducation nutritionnelle, diversification et autres) offrent un impact plus remarquable sur l’état nutritionnel des bénéficiaires, notamment les enfants et les femmes enceintes. Les seules distributions de calories n’améliorent pas systématiquement la qualité nutritionnelle. Il est recommandé d’intégrer par exemple des indicateurs nutritionnels (statut iodique/fer, diversité alimentaire…). Le programme de cantines scolaires du PAM (présent dans plus de 70 pays, dont le Bénin et le Niger) ne se limite pas à fournir des repas. Il intègre aussi la diversification alimentaire et l’achat local de produits nutritifs.

Renforcer les marchés locaux et les chaînes de valeur

Soutenir les marchés locaux (infrastructure, stockage) garantit un impact durable. Les ménages achètent plus d’aliments variés et la production locale devient plus rentable. Il est donc important de favoriser les achats locaux, combiner les transferts monétaires avec appuis aux marchés et suivre les effets sur les prix.

Genre et inclusion : cibler les vulnérabilités spécifiques

Une analyse de genre (contrôle des ressources, charge de travail, accès aux services) doit être prise en compte. Les femmes bénéficiaires peuvent améliorer la nutrition domestique, mais sans mesures d’accompagnement (sécurité d’accès, décision sur l’usage des transferts) les gains sont limités. Il est important d’inclure des indicateurs liés au genre et de renforcer la participation des femmes dans la gouvernance locale des programmes.

Coordination nationale et synergie avec les politiques publiques

Les programmes isolés ont un impact limité. En revanche, lorsqu’ils s’alignent sur les politiques nationales (cadre de sécurité alimentaire, systèmes de production sociale, nutrition scolaire), leurs effets sont démultipliés et durables.

La lutte contre l’insécurité alimentaire exige une vision à long terme. Les programmes alimentaires doivent dépasser le cadre de l’assistance ponctuelle pour construire des systèmes alimentaires inclusifs, résilients et durables. En plaçant les communautés au centre et en investissant dans l’agriculture locale, des décideurs peuvent transformer la sécurité alimentaire en un véritable levier de développement. Kerus Consulting International reste disponible pour accompagner les organisations privées et publiques dans le suivi et évaluation des programmes alimentaires.

 

Références

  • Sécurité alimentaire : un enjeu renforcé dans un contexte de tensions internationales
  • Évaluation des impacts : leçons tirées des interventions sur les systèmes alimentaires en Afrique et en Asie
  • Le PAM dépense 99,6 millions de dollars en bons de repas et en transferts monétaires alors que le nombre de Nigérians en situation d’insécurité alimentaire augmente de 38 % en 2023
  • Améliorer la sécurité alimentaire grâce à l’agroforesterie : étude de cas à Petit-Bondoukou, région de la Nawa, Côte d’Ivoire
  • Améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle au Sahel et dans la Corne de l’Afrique

 

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